L’impact potentiel du réchauffement climatique sur le crabe des neiges
Le changement climatique, s’il est soutenu, continuera à se manifester dans le golfe du Saint-Laurent par un réchauffement des eaux de surface et de fond. Parmi les espèces qui y sont pêchées, certaines comme le homard profiteront, alors que d’autres seront désavantagées. C’est le cas du crabe des neiges, car il est plus dépendant d’eaux froides que toute autre espèce pêchée dans le golfe du Saint-Laurent.
Pour comprendre les effets du réchauffement sur le crabe des neiges, Bernard Sainte-Marie et son équipe ont entrepris des travaux de recherche axés sur certains aspects clés de la bio-écologie du crabe des neiges. Cette espèce a un cycle de vie complexe qui comprend une phase planctonique, au cours de laquelle ses larves dérivent dans les eaux de surface, et une phase benthique au cours de laquelle les juvéniles, établis sur le fond, se développent jusqu’à une mue terminale après laquelle ils sont adultes. Le crabe des neiges se trouve sur les fonds baignés par des eaux variant de -1,5 à 4 °C. Cependant, les premiers stades juvéniles benthiques auraient une préférence thermique plus restreinte, se retrouvant surtout dans des eaux de 0 à 2 °C.
Les travaux réalisés démontrent que les effets d’un réchauffement sur la phase benthique du crabe des neiges du golfe du Saint-Laurent seraient multiples et, dans une certaine mesure, antagonistes. Du côté positif, un réchauffement modéré (1 à 2 °C) des eaux de fond augmenterait la fécondité individuelle des femelles. En effet, celles-ci effectueraient leur mue terminale à une taille moyenne plus grande, produiraient un plus grand nombre d’œufs à chaque portée et se reproduiraient annuellement plutôt qu’une fois tous les deux ans. Les mâles effectueraient aussi leur mue terminale à une taille moyenne plus grande, de sorte qu’une proportion plus élevée d’entre eux atteindrait la taille légale de capture, et que les crabes capturés dans la pêche seraient en moyenne plus grands.
Le réchauffement aurait aussi des conséquences négatives, la plus importante étant une contraction de l’étendue des fonds baignés par des eaux froides. Cela concentrerait les crabes sur un plus petit territoire, et accentuerait la mortalité naturelle par compétition pour les ressources et par cannibalisme (Eh oui! Le crabe des neiges est une espèce cannibale.). Une mortalité additionnelle découlant des limites physiologiques à la survie au-delà de 4 à 5 °C et du retour possible de prédateurs naturels comme la morue pourrait exacerber ces effets négatifs. Avec un réchauffement soutenu, les effets négatifs supplanteraient les effets positifs.
L’impact du réchauffement sur le crabe des neiges ne sera pas le même partout dans le golfe du Saint-Laurent. Les régions présentement les plus « chaudes » du golfe du Saint-Laurent verront leur population décliner avant les régions les plus froides. Un réchauffement limité là où les eaux récemment trop froides ont nui à la productivité du crabe des neiges, comme sur la Basse-Côte-Nord, pourrait même être bénéfique à la population et à la pêche.
Comme pour tout autre évènement de nature climatique, il peut y avoir des soubresauts inattendus. Ainsi, les températures froides observées dans le golfe du Saint-Laurent à l’été 2014 et à l’hiver 2015 ont momentanément modifié la tendance au réchauffement et ont engendré l’une des plus fortes classes d’âge du crabe des neiges observées au cours des trois dernières décennies.
Bernard Sainte-Marie
Sciences