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L'histoire incroyable d'un matelot français

Par
Evelyn Mathieu

En janvier dernier, les employés du bureau régional de la Garde côtière canadiennede Montréal ont reçu la visite de Jacques Gabarro, un marin français sauvé des eaux en 1963 par l’équipage d’un navire de la Garde côtière, le NGCC Sir Humphrey Gilbert. Chaudement accueilli par la commissaire adjointe, Julie Gascon, il a gentiment accepté de raconter son histoire. Voici donc le récit de son incroyable aventure.

Une tempête dévastatrice
Jacques Gabarro est intimidé. Les mots ne sortent pas facilement de sa bouche. De stature frêle, il s’exprime d’une voix grave, avec l’accent chantant du sud de la France.

Devant la quarantaine de personnes rassemblées pour l’écouter, il parle de cet hiver 1963 où le cargo Douala a sombré au sud de Terre-Neuve. Jeune novice mécanicien, Jacques avait déjà l’habitude de faire le voyage entre les Grands Lacs canadiens et Marseille, port d’attache du Douala. Mais cette année-là, au sud de Terre-Neuve, le cargo se retrouve dans une tempête comme il n’en a jamais vue. Tout est arraché sur le bateau. Les panneaux de cale partent en vrille et l’eau s’engouffre à l’intérieur. Après plusieurs heures, le capitaine décrète l’abandon du navire.

Jacques Gabarro n’a jamais vu de tempête aussi dévastatrice. « Même si je vous le dis, ce n’est pas croyable », répète-t-il souvent. Nous sommes suspendus à ses lèvres. On entendrait une mouche voler.

Un sauvetage périlleux
Dans le canot de sauvetage, les membres d’équipage doivent d’abord manœuvrer pour éviter le tourbillon causé par le navire qui coule. Ils doivent ensuite tout faire pour demeurer éveillés, car avec le froid, ils ne se réveilleraient plus. En tout, ils vont passer plus de 24 heures à découvert dans le canot sur une mer déchaînée à -15o Celsius. Près de Jacques, deux camarades ne résistent pas. Lui-même ne doit sa survie qu’à « son endurance et sa jeunesse ».

C’est finalement un avion de la Royal Air Force qui les repère. Un peu plus tard, le NGCC Sir Humphrey Gilbert est en vue. Mais les membres de l’équipage du Doualane sont pas encore sauvés, ils ne sont pas encore à bord…

Le navire se place dans le sens des vagues pour protéger le canot. « Merci au capitaine, il a pris des risques », se rappelle Jacques. Ses camarades et lui doivent sauter du canot au navire, attendant le moment où la vague les amènera à la bonne hauteur pour s’agripper à des filins. Là, les matelots du Gilbert les attrapent comme ils le peuvent et les hissent à bord. Le défi est d’éviter d’être écrasés entre la coque du navire et le canot, malmené par la force de la tempête. Exténués, certains n’y arrivent pas. Jacques, une fois sauvé, passera plusieurs semaines à l’hôpital de Port-aux-Basques, à Terre-Neuve, pour se remettre avant de rentrer en Europe.

Un lieu de pèlerinage
Dans la salle, Mme Gascon lui demande ce que ce drame a changé dans sa vie. « Bien, j’ai continué à naviguer! J’étais jeune et, voilà, quand on a la mer dans le sang… » Quelque temps plus tard, il prévient d’ailleurs son patron qu’il est prêt à refaire le même voyage. « Il faut savoir que ma personnalité, c’est comme ça… Je suis du côté aventureux des choses. Même à la retraite! Par exemple, j’ai été guide de randonnée et, entre deux chemins, je choisissais toujours le plus escarpé, le plus difficile. »

Jacques Gabarro est souvent revenu au Canada. Il aime le pays, sa nature, ses villes. Mais il vit chaque voyage un peu comme un pèlerinage, en souvenir de ses camarades disparus.

Sur Internet, il est facile de trouver plusieurs mentions du naufrage du cargo Douala, propriété de la compagnie Fraissinet-Fabre établie à Marseille. En plus de la Garde côtière canadienne, de nombreuses ressources ont été déployées pour venir en aide au cargo : avions, chalutiers, sans oublier la US Coast Guard.

Le NGCC Sir Humphrey Gilbert, commandé par le capitaine G.S. Burdock, a été le premier arrivé sur les lieux du drame. C’est ce navire qui a sauvé le premier canot. Les chalutiers Rodrigue et Langlade, de Saint-Pierre-et-Miquelon, ont rescapé un second canot où il n’y avait que deux survivants. Au total, sur les 29 membres d’équipage que comptait le Douala, 17 seulement ont survécu.

Plus tard, le NGCC Sir Humphrey Gilbert a été transformé en MV Polar Prince. Au cours de l’été 2017, à l’occasion du 150eanniversaire du Canada, il a été utilisé pour effectuer l’expédition Canada C3.

Evelyn Mathieu
Garde côtière canadienne

Jacques Gabarro et la commissaire adjointe, Julie Gascon.

Jacques Gabarro et la commissaire adjointe, Julie Gascon.

Le cargo Douala dans le port de Marseille.

Le cargo Douala dans le port de Marseille.