ss

L’ouragan Dorian cause de surprenantes perturbations des niveaux d’eau du Saint-Laurent

Par
Denis Lefaivre et Bernard Tessier

L’ouragan Dorian, devenu tempête post-tropicale sur le Québec les 7 et 8 septembre 2019, a perturbé le cycle normal des marées en provoquant des variations des niveaux d’eau hors de l’ordinaire. Pendant son passage, les avertissements d’ondes de tempête sur le fleuve et dans le golfe du Saint-Laurent ont été multipliés. Au Québec, les îles de la Madeleine ont été particulièrement touchées. La chute vertigineuse de la pression atmosphérique de 1 020 à 960 mbar en quelques heures (figure 1 - ligne orange) dans cette région du golfe et le passage rapide de la dépression ont occasionné un phénomène d’aspiration des eaux qui a fait grimper le niveau d’eau à 2,6 m. Ce niveau dépasse de 20 cm l’extrême historique enregistré le 22 décembre 2008. L’onde de tempête créée par la dépression et les vents associés ont généré une surcote de plus de 1,6 m sur la marée prédite à la station de Cap-aux-Meules (figure 1). Des surcotes ont aussi été observées à Rivière-au-Renard (46 cm), à Sept-Îles (19 cm), à Rimouski (26 cm), à Québec (45 cm) et à Portneuf (51 cm). Étant donné qu’il ne s’agissait pas de la période de grandes marées du mois, les débordements côtiers ont heureusement été limités.

La dépression s’est ensuite déplacée vers l’océan Atlantique. La basse pression installée près du détroit de Cabot a retenu une partie de l’eau de l’Atlantique par effet d’aspiration de sorte que l’amplitude de l’onde de marée dans le golfe et le fleuve a connu une diminution. L’effet a été spectaculaire à la marée haute suivante, avec des niveaux d’eau beaucoup plus bas que ceux prédits (décotes) dans les tables de marées, le 8 septembre. Les effets ont été observés jusqu’à Trois-Rivières, à plus de 1 000 km des îles de la Madeleine. Les décotes observées sont de plus en plus importantes en remontant le fleuve, comme on peut le constater aux stations de Cap-aux-Meules (-43 cm), de Sept-Îles (-33 cm), de Rimouski (-52 cm), de Québec (-118 cm – voir figure 2), de Portneuf (-116 cm) et de Trois-Rivières (-15 cm). De Rimouski à Portneuf, plusieurs riverains ont cru que la marée haute avait disparu. Les Services de communications et de trafic maritimes de la Garde côtière canadienne ont même dû demander à un navire de jeter l’ancre faute de dégagement suffisant sous la quille. Dans l’édition du 18 septembre du quotidien Le Soleil, le journaliste Jean-François Cliche rapportait que « la marée haute prévue n’était jamais arrivée » dans la région de Trois-Pistoles. Le traversier pour l’île aux Basques reposait toujours sur le fond à la marée haute; celui en provenance des Escoumins a dû rebrousser chemin parce qu’il n’y avait pas assez d’eau au quai de Trois-Pistoles.

Le passage d’une dépression de cette ampleur, soit 960 mbar, dans le golfe du Saint-Laurent est un phénomène plutôt rare. Le réchauffement de l’eau de surface dans l’Atlantique pourrait faire en sorte que cela se produise plus souvent. Cela reste un casse-tête pour les navigateurs et les riverains, mais l’étude de Dorian nous en apprend un peu plus sur les liens océan-atmosphère.

Denis Lefaivre et Bernard Tessier
Science
 
Vagues

Crédit photo : Pêches et Océans Canada, M. Therrien

Observations à la station de Cap-aux-Meules. Graphique montrant la chute vertigineuse de la pression atmosphérique de 1 020 à 960 mbar en quelques heures dans la région des îles de la Madeleine et le passage rapide de la dépression, lesquels ont occasionné un phénomène d’aspiration des eaux faisant grimper le niveau d’eau à 2,6 m.

Cliquez ici pour voir une version agrandie
Figure 1. Observations à la station de Cap-aux-Meules. Graphique montrant la chute vertigineuse de la pression atmosphérique de 1 020 à 960 mbar en quelques heures dans la région des îles de la Madeleine et le passage rapide de la dépression, lesquels ont occasionné un phénomène d'aspiration des eaux faisant grimper le niveau d'eau à 2,6 m.

Figure 2. Observations à la station du Vieux-Québec. Elles montrent que, par effet d’aspiration, la basse pression installée près du détroit de Cabot a retenu une partie de l’eau de l’Atlantique diminuant l’amplitude des marées dans le golfe et le fleuve. L’effet a été spectaculaire à la marée haute suivante, avec des niveaux d’eau plus bas que ceux prédits.

Cliquez ici pour voir une version agrandie
Figure 2. Observations à la station du Vieux-Québec. Graphique montrant que la basse pression installée près du détroit de Cabot a retenu une partie de l'eau de l'Atlantique par effet d'aspiration de sorte que l'amplitude de l'onde de marée dans le golfe et le fleuve a connu une diminution. L’effet a été spectaculaire à la marée haute suivante, avec des niveaux d’eau plus bas que ceux prédits (décotes) dans les tables de marées, le 8 septembre. La décote observée pour Québec était de -188 cm.

Légende:

Observations des niveaux d’eau – ligne rouge

Prédictions – ligne noire

Pression atmosphérique – ligne orange

Lignes verticales en noir – différence entre l’observation de niveau d’eau et la prédiction de marée